img
-

Classica : ON A VU

 Voir CLASSICA N°229 (Février 2021)…

Dring, dring

RÉVEIL DISCRET POUR CETTE TÉTRALOGIE QUI PASSERA EN UN ÉCLAIR DE L’AUBE AU CRÉPUSCULE DU FAIT DU CONTEXTE ÉPIDÉMIQUE. ENTRAVÉ, CE « RING » FUT NÉANMOINS INOUBLIABLE DANS SA VERSION DE CONCERT À HUIS CLOS.

Incroyable pour la France, « fille aînée du wagnérisme », le Ring n’avait été joué, de 1911 à 1957, que huit fois intégralement à l’Opéra Garnier ! Après 53 ans d’absence, et deux tentatives avortées sous les mandats de Georges Auric et de Rolf Liebermann, le Ring réinvestissait enfin, au long de la saison 2010/2011, la Grande Boutique, mais à Bastille cette fois, de par la ténacité de Nicolas Joel. Triomphe de la baguette de Philippe Jordan, cultivant l’esthétique plus que le théâtre, et dédain pour une production dispersée et frustrante. Malgré une quinzaine de représentations de chaque partie, ne serait finalement produit qu’un seul cycle complet, en juin 2013. Et de neuf ! Nouveau directeur, et désir de Philippe Jordan de revenir à l’oeuvre, fort de ses expériences wagnériennes à Bayreuth et du Ring dirigé à New York, Stéphane Lissner annonçait pour 2020 une nouvelle production confiée à Calixto Bieito, qui marquerait ses propres adieux à la direction de l’Opéra, comme ceux de ce directeur musical que Paris aura adoré : les quatre opéras montés du printemps à l’automne, suivis par deux cycles en novembre et décembre. Mais des grèves historiques mirent à bas les célébrations des 350 ans de l’Académie, et la Covid acheva la saison entière ainsi que ce projet wagnérien, arrêté sur un Or du Rhin mis en répétition, mais jamais joué. Depuis l’institution fermée et à bout de dettes, Lissner anticipait son départ à Naples. Jordan désormais en poste à Vienne tenait à cette dernière rencontre avec le public et cet orchestre qu’il a souvent porté à l’excellence. Alexander Neef, nouveau directeur tout frais débarqué début septembre, conforta l’idée de donner les deux cycles prévus, en concert, reportant la production scénique à 2023-2024, avec un nouveau chef (on évoque déjà l’ardent Dudamel).

LE FANTÔME DE L’OPÉRA
Mais que pèse « un réveil musical indispensable » (dixit Jordan) face à l’épidémie ? Le second confinement allait le réduire à un seul cycle, joué sans public, comme on fait désormais partout, et enregistré pour diffusion sur France Musique pour les fêtes, et sur le site de l’Opéra, complété d’un reportage de 52 minutes gardant quelques moments vidéo des quatre soirées. On s’est ainsi retrouvé, parmi une vingtaine de confrères, au balcon du vaisseau Bastille, surplombant, à quelques sponsors près, un parterre vide, transformé en studio d’enregistrement. Quelques contaminations ayant encore modifié le planning, obligeant à jouer en ordre défait, La Walkyrie ouvrit le bal, et Siegfried, joué à l’Auditorium de Radio France, autrement intime, suivit Le Crépuscule des dieux. Qu’importe, en privilégiés absolus, on aura pu, non jouer aux critiques, mais jouir d’un bonheur perdu depuis fin septembre, celui du contact réel avec la musique et ses recréateurs, solistes, choeurs, orchestre, tout à la joie de rejouer, de se donner à fond. Ambiance attentive – le chef fera reprendre, miracle du non-direct, quelques moments qui ne le satisfont pas encore –, mais aussi détendue, chacun, en jeans, blouses, baskets – Jordan tombera même la veste – et masques pour entrer et sortir sans bruit (les micros captent tout), accumulant complicité, gestes affectifs, saluts silencieux. Bonheur.

MOMENTS D’ANTHOLOGIE
Coup de chance, le forfait des jumeaux prévus nous vaut le plus beau Siegmund de l’heure, Stuart Skelton, et, en Sieglinde, Lise Davidsen, d’un rang wagnérien que l’on croyait il y a peu encore perdu à jamais ! Avec Günther Groissböck et un chef qui prend feu, démarrage d’anthologie. Certes le Wotan de Iain Paterson n’a plus l’ambitus de ses Fasolt de 2010, on a connu plus irradiantes Brünnhildes que Martina Serafin et Ricarda Merbeth, mais on a découvert le formidable Siegfried d’Andreas Schager, qui ignore la peur, quitte à rater deux notes, reprises joyeusement. Quatre soirs durant, dans le déferlement wagnérien, on aura été comblés. Au point de ne pas oser tenter l’écoute, à qui manquait peut-être cette présence du réel, pour laquelle Jordan, dans son discours final, aura dit sa gratitude et sa fierté.

Pierre Flinois

– Opéra Bastille, les 24, 26 et 28 novembre ; Auditorium de RadioFrance, le 6 décembre.
À réécouter sur www.francemusique.fr


Classica c’est aussi l’actualité des concerts et des sorties de disques, la Petite Musique d’Eric-Emmanuel Schmitt, le billet d’humeur d’Alain Duault, la chronique d’Emmanuelle Giuliani…

Classica est en vente chez votre marchand de journaux (7,90€).

Ici le lien à la boutique Classica !