Enfin une légende qui n’est pas urbaine mais privée, puisqu’elle concerne l’intimité d’une maison viennoise en 1919, dont le personnage principal était lui, public. Karl Amadeus Franck était un poète reconnu. Un trésor national. Devenu un monument à sa mort. Son fils, Friedrich Marius, est censé entretenir la flamme lyrique que lui impose cette filiation. Contraint d’une main de fer par sa mère, Léonore, à tenir le rang dont il ne doit pas sortir. Car si le rang part la forteresse s’effondre et toute la famille avec, la mère, le fils et sa sœur, Clarissa. Le tout, sous les yeux embués de l’éditeur du maitre, Bursteïn. Lassé de cette discipline héréditaire forcée, le fils veut se libérer de ce carcan généalogique mal assumé. Il s’apprête à quitter la maison le cœur lourd, quand l’arrivée d’une femme bouleverse le désordre émotionnel bien établi.
Stephan Zweig savait bien cerner les personnalités confuses du genre humain et cette histoire familiale n’échappe pas au sens de l’observation profond que l’auteur décrivait de sa plume aiguisée. Ce texte est donc magnifiquement écrit. Lyrique s’il en est, il ne pouvait pas être mieux interprété que par Natalie Dessay, célèbre pour son organe, quant actrice, elle donne du coffre à cette mère que l’on pourrait croire dépourvu du principal, le cœur.
Il s’agit en fait d’une histoire d’amour qui a mal tournée. Ou qui a tournée sur elle-même. Sur eux-mêmes. Ces personnages en quête de hauteur, de gloire et d’honneur et peut-être en manque d’amour. Une partition parfaitement composée d’un solo de poète, d’un duo amoureux et d’un trio contrarié. Exécutée par deux divas, Natalie Dessay donc, la mère et Macha Méril, la femme et un ténor du théâtre, Bernard Alane, l’éditeur, parfaitement bien accompagnés par Gaël Giraudeau, un beau fils, et Valentine Galey, jolie sœur. La belle mise en scène classique de Christophe Lidon sied au superbe décor art déco, subtilement éclairé. Où quand des légendes de l’écriture et de l’interprétation se donnent au rendez-vous au bon endroit, à Montparnasse.