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Classica a vu ! Salzbourg toujours

UNE « ELEKTRA » MAGISTRALEMENT DIRIGÉE, UN BONHEUR DE « COSÌ FAN TUTTE », DES RÉCITALS À FOISON… MALGRÉ SON PROGRAMME RÉDUIT, L’ÉDITION DU CENTENAIRE FUT HISTORIQUE À PLUS D’UN TITRE..

On l’a oublié, mais, en 1920, la grippe espagnole tuait encore. Cela n’ empêcha pas la création d’un Festival qui deviendrait le premier du
monde. Au-delà même de ce centenaire qu’il entendait célébrer avec faste, Markus Hinterhäuser a saisi l’enjeu fondamental d’offrir du spectacle vivant en ce nouveau temps de pandémie. Ne pas céder aux facilités du semi-staged, du concert réduit ou du streaming confiné était une leçon, que le directeur artistique du Festival, et son incontournable présidente, Helga Rabl-Stadler, ont imposée à leurs formidables équipes. Programme réduit de plus de moitié, deux opéras au lieu de neuf, et 54 concerts offrent un bilan que personne n’aura aligné ailleurs, proclamant haut la place de l’art dans la société, même fragilisée, ce que l’on attend toujours d’entendre en France.

Elektra © BERND-UHLIGCôté lyrique, priorité aux fondamentaux. Elektra (16/08, photo ci-contre), rescapée du programme initial, affichait pour les 60 ans de Franz Welser- Möst un concept en plein accord avec la proposition de Krzysztof Warlikowski : pas d’hystérie. Klytemnestra ayant clamé, d’après Eschyle, un « Non, je ne regrette rien » initial, la confrontation des trois femmes d’une Mycènes ceinte par le rocher de la Felsenreitschule gansé d’inox brillant sous une douce lumière aux reflets dansants d’un bassin lustral se fait écoute, retenue, attente tapie jusqu’à l’explosion finale, sur un maelström de mouches autour d’une giclée de sang. Magistralement dirigée par le Polonais, dont on tient ici l’une des plus belles réflexions sur le manque d’amour, la distribution offre les prises de rôle des formidables Ausrine Stundyte, Elektra intériorisée, qui chante le rôle sans le crier, et Asmik Grigorian, Chrysothemis aux aigus somptueux, moins fascinante que dans sa Salomé toutefois, la reine incisive de Tanja Baumgartner et l’Orest somptueux de Derek Welton, tandis que Vienne joue le raffiné des moires de la partition.

 

Così fan tutte © MONIKA RITTERSHAUS
TROIS FRANÇAISES

Così fan tutte (18/08, ci-contre) réduit à 2 h 10 sans entracte, offrait avec Joana Mallwitz la première baguette féminine à diriger un opéra ici, et formidablement juste, avec Vienne encore ! Comme la production de Christof Loy, improvisée en deux mois, qui devant un simple mur blanc joue de la jeunesse des interprètes, formidablement mobiles, et donc crédibles, et de la légèreté de ton, qui n’exclut ni la fragilité ni la profondeur soudaine.
Trois Françaises dans la distribution, Elsa Dreisig, très investie, Marianne Crebassa impériale, Lea Desandre piquante, c’est un bonheur. Bogdan Volkov ravissant de chant, et Andrè Schuen plus viril, leur font un juste pendant avec le subtil Johannes Martin Kränzle.
Faute d’opéras, on a diversifié son écoute, avec Sylvain Cambreling et le Klangforum remplissant des glissements furtifs de Sciarrino la Kollegienkirche (13/08), Leonardo García Alarcón tressant un écrin à Sonya Yoncheva pour cheminer de l’Arnalta de Monteverdi à la Didon de Purcell (14/08), Riccardo Muti – pour son 49e Festival, il est des chefs vivants celui qui a le plus dirigé ici – osant avec Vienne et les Choeurs de son Opéra une Neuvième de Beethoven jupitérienne, soyeux des cordes, cantabile subjuguant de l’Adagio, quatuor vocal d’exception (17/08), Benjamin Bernheim imposant Les Nuits d’été en récital (19/08), trop brefs instants de magie d’un cru précieux car contraint. Mais, devant ces demi-salles imposées, Markus Hinterhäuser le reconnait : si la pandémie n’est pas maîtrisée d’ici à l’été prochain, il lui sera difficile derenouveler l’exploit.

 CLASSICA N°215 (Septembre 2020)…

Pierre Flinois – Classica

 


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